Les événements relatés dans ce récit se sont déroulés dans un avenir très lointain. Ils ont été récupérés sous forme numérique il y a quelques années dans ce qui a été supposé être une capsule spatio-temporelle, et de longs travaux des meilleurs linguistes ont été nécessaires pour rendre le texte lisible.
Les dialogues ont été traduits et adaptés pour être compréhensibles au langage de notre époque. Les technologies inaccessibles à nos conceptions sont décrites en termes de notre XXIème siècle, mais les noms des techniques et des appareils, intraduisibles, ont été laissés dans leur phonétique d’origine.
Près de cent mille ans se sont écoulés depuis la quasi disparition de l’humanité, causée par la faillite du système social basé sur les religions et la fortune de certains, à une époque où seules deux planètes proches de la Terre d’origine avaient été partiellement occupées.
C’est à partir d’une de ces colonies embryonnaires qu’une expédition sans retour a été lancée dans l’espace, emportant les meilleurs scientifiques et quelques centaines de volontaires.
Quelques mois plus tard, la Terre d’origine disparaissait dans l’implosion consécutive à un holocauste nucléaire.
L’histoire n’a pas mémorisé où, ni quand cette expédition a fini par trouver un Monde habitable. Comment s’est organisée la renaissance de l’humanité, aucune trace n’en subsiste. De nombreux siècles se sont écoulés, au cours desquels les hommes ont de nouveau développé leur technologie, et réussi à prendre pied sur des planètes voisines, semble-t-il sans commettre les erreurs du passé, grâce à la technologie dite des hypervaisseaux, capables d’excéder la vitesse de la lumière.
D’autres longs siècles de recherche ont fini par aboutir à ce qui allait révolutionner pour toujours l’histoire de l’humanité : le déplacement instantané, quelle que soit la distance. Le principe est issu des recherches initiées dès notre époque en mécanique quantique, par l’évolution de ce que nous avons appelé l’Intrication Quantique. La seule limite est qu’il faut un émetteur et un récepteur, c’est à dire qu’on ne peut établir de relation instantanée qu’en deux points déjà équipés.
Les hommes ont donc passé les millénaires suivants à établir des ponts vers des Mondes de plus en plus lointains, en y envoyant des hypervaisseaux d’exploration.
À l’heure de notre récit, les cinq bras de la Galaxie ont été explorés, et des dizaines de milliers de planètes ont été peuplées sans que jamais aucune civilisation extraterrestre n’ait été découverte. Les planètes sont généralement peu peuplées, et la facilité des communications a permis de faire en sorte que chacune d’entre elles, soumise à l’autorité d’un Consul, ait une fonction spécifique, que ce soit agricole, industrielle, administrative, ou toute autre catégorie.
Au vu des informations contenues dans les documents recueillis, les modes de vie semblent somme toute très semblables à ceux de la Terre du XXIème siècle, et la dispersion dans la Galaxie au cours des millénaires a permis d’éradiquer les fléaux liés à la surpopulation. La paix règne, ou du moins les conflits sont-ils rares et sans grande envergure.
L’humanité est globalement heureuse.
Et pourtant...
Planète M8K-5-424 dite Harlon, catégorie 223-B, cinquième bras de la Galaxie, continent Nord, zone d’urbanisation dite Centercity, trois mille mètres sous la surface, Centre Administratif Planétaire, bureau du Consul.
- C’est vraiment sérieux ?
Nancy Gritsbill, Consul d’une des planètes les moins accueillantes de la Galaxie, grande et mince dans sa Kombi administrative asexuée, se tenait debout, face à ses trois interlocuteurs.
- Tout à fait, Consul, répondit Stéroc, son assistante et plus proche collaboratrice. Les Coms se sont interrompues il y a maintenant deux heures, et avec elles les Sintriqs externes et donc tous les transports, entrants ou sortants.
- Comment est-ce possible ? fit le Consul. Tout n’est-il pas prévu pour que ce genre de choses ne se produise jamais ?
- Si, effectivement, intervint Hagling, Directeur de la sécurité planétaire. Et en fait, cela ne s’est jamais produit nulle part.
- Et pourtant, cela semble bien s’être produit ici ! Avez-vous une idée de ce qui a pu se passer ?
- Aucune, au stade où nous en sommes. Toutes les tentatives de réparation automatique ont échoué, et...
- Mais il y a bien des installations de secours sur la planète ou dans l’espace, s’agaça le Consul. Ne me dites pas que rien ne fonctionne !
- Eh bien si, Consul. Toutes les installations redondantes de secours sont hors service. Normalement, un arrêt des Coms aurait dû passer inaperçu de tout le monde, exception faite des bots chargé de gérer ce type d’incident... et je le répète, cela n’est jamais arrivé. Mais là, l’arrêt a été instantané et total.
- Quand vous dites que les Coms sont arrêtées, reprit le Consul, vous parlez des Coms extra-planétaires, ou domestiques ?
- Uniquement les Coms extra-planétaires, Consul, intervint à son tour Gerstell, Directeur des communications. Les Coms au niveau de la planète sont opérationnelles, et les Sintriqs domestiques fonctionnent.
- Donc, si je vous comprends bien, fit Nancy Gritsbill en faisant nerveusement les cent pas dans le vaste bureau, nous sommes isolés du reste de la Galaxie, mais nous pouvons nous déplacer et communiquer correctement sur notre propre planète. Stéroc, quelles sont les conséquences immédiates pour la population ?
- Relativement faibles au point de vue des personnes, puisqu’elles continuent à pouvoir se déplacer selon leurs habitudes. Les seules personnes impactées sont celles qui sont en transit sur la planète, et qui ne peuvent plus la quitter. Cela représente plusieurs milliers de personnes, et il va falloir prévoir des hébergements et des centres d’alimentation pour les humains, tandis que les andros recevront des impulsions de mises en veille. Tout cela est déjà prévu par les procédures de catastrophe naturelle, et les centres urbains sauront gérer de manière autonome. Mais l’impact majeur est que tous les flux d’import et export sont interrompus, et si cela doit durer au-delà de quelques jours, notre économie va très rapidement se trouver en mauvaise posture. Sans compter que les importations de denrées alimentaires représentent une part non négligeable pour la consommation de la population, et nos usines de fabrication d’aliments de synthèse ont déjà été jugées insuffisantes en temps normal. Il faut dons s’attendre à du mécontentement de ce côté-là.
Nancy Gritsbill interrompit son va-et-vient, et fit face à ses trois interlocuteurs. Tous trois étaient des andros, et elle était pour l’instant la seule humaine de la réunion. Comme tous les andros, les deux Gouverneurs et l’assistante du Consul avaient le même style, même si Stéroc était un andro de type féminin : allure élancée, Kombi stricte et impeccable, visage peu expressif.
- L’heure est donc grave, dit-elle. Stéroc, vous allez convoquer ici en présence physique tous les chefs d’entreprises ayant de près ou de loin des relations extra planétaires que vous pourrez joindre. Débrouillez-vous aussi pour trouver et ramener ici le Premier Conseiller Benson. Je ne sais pas ce qu’il fabrique, mais depuis une heure, je n’arrive pas à communiquer avec lui. Il a encore dû se mettre off-line pour rencontrer une de ses maîtresses... Ensuite, vous organiserez des séances publiques d’information. Gerstell et Hagling, vous allez trouver ce qui se passe et faire en sorte que les Coms soient rétablies et les Sintriqs opérationnels au plus tôt. Peu importe les moyens, vous avez carte blanche. Mettez toutes vos équipes en collaboration jour et nuit, utilisez toutes les ressources qu’il vous faudra, mais tout doit fonctionner, et très vite.